CHAPITRE 2 - L'Horreur d'Augusta

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21 août

C. H. s'est rappelé à mon bon souvenir dans une lettre fort succincte jointe d'une coupure de presse. Il attire mon attention sur l'internement d'un criminel aux tendances homicides à l'institut psychiatrique d'Augusta, Maine.

D. R. V.

24 août

J'ai effectué de longues lectures dans les éminents journaux de presse étrangère que reçoit le C. Club.[secret 1] Ce majordome pour lequel j'éprouve une antipathie et une méfiance profonde a été fort contrit d'avoir à retrouver plusieurs mois de parutions de différents quotidiens à ma demande.
Quoiqu'il en soit, les indices sont là et ils sont éloquents pour qui sait lire entre les entrefilets.

Pièce jointe : Listing des personnes disparues (recto)[secret 2]
  • Scott Lowe, homme, 34 ans, sans profession. Décès le 21 mai. Meurtre.
  • Mark N. Profitt, homme, 50 ans, notaire. Décès le 27 mai. Mort naturelle.
  • (Entouré) Justin C. Taylor, homme, 12 ans, sans profession. Porté disparu le 26 mai.
  • (Entouré) Patricia F. Taylor, femme, 7 ans, sans profession. Portée disparue le 26 mai.
  • (Entouré) Brenda Crews, née Menjivar, femme, 41 ans, nourrice. Retrouvée morte le 30 mai. Traumatismes et fractures multiples.
  • Eve O. Smith, femme, 27 ans, magasinière. Portée disparue le 29 mai.
  • Charles Newman, homme, 72 ans, avocat. Décès le 10 juin. Mort naturelle.
  • John Fitzgerald, homme, 35 ans, policier. Décès le 26 juin. Mort naturelle.
  • Vernon O'Connor, homme, 57 ans, professeur. Porté disparu le 26 juin. Retrouvé mort le 1er juillet.
  • (Entouré) Jordan Schimmel, homme, 17 ans, étameur. Porté disparu le 27 juin.
  • Mike Parker, homme, 38 ans, trappeur. Retrouvé mort le 28 juin. Traumatismes multiples, supposé attaqué par des bêtes sauvages.
  • Andrew P. Freeman, homme, 26 ans, comptable. Décès le 25 juillet. Crise cardiaque.
Pièce jointe : Listing des personnes disparues (verso)
  • Jason A. Delaney, homme, 56 ans, fermier. Décès le 24 juillet. Traumatismes multiples.
  • Charles P. Robertson, homme, 80 ans, retraité. Décès le 24 juillet. Mort naturelle.
  • (Entouré) Donna Robbles, née Wilde, femme, 47 ans, femme au foyer. Disparue le 22 juillet.
  • Dale James, homme, 68 ans, fermier. Décès le 26 juillet. Apoplexie.
  • Hollie Gill, femme, 55 ans, lavandière. Décès le 30 juillet. Crise cardiaque.

26 août

Télégramme de C. H. qui me presse de le rejoindre sur place. De nouvelles disparitions ont été signalées et deux corps ont été retrouvés le 22 août.
Son invitation tombe fort à propos. Il me faut changer d'horizons. Peut-être que cette fois les silhouettes rôdant dans mon ombre mettront plus de temps à reparaître.

3 sept.

New York est bientôt en vue. La traversée a été longue. J'ai l'intime conviction que quelqu'un m'a suivi. J'ai cru surprendre à plusieurs reprises une silhouette rôder insidieusement autour de ma cabine. Heureusement, tous mes écrits sont en permanence sous clé.
Je ne dois pas me relâcher.

4 sept.

J'ai pu récupérer un message à mon attention dans un bureau des postes dès mon arrivée au port. C. H. me conseille plusieurs lignes de train et horaires pour arriver à destination. Une réservation a également été prise à l'un de mes noms dans un des cottages environnant Augusta. Enfin, une lettre de recommandation d'un certain M. M. K. (C. H. a toujours eu un vaste réseau de relations) doit également me faire office de passe droit pour rencontrer D. R. V.
C. H. est très prévoyant.
J'ai aussi fait mine de prendre un taxi pour le centre ville avant de lui faire changer d'itinéraire, afin de brouiller les pistes.

6 sept.

Je suis enfin arrivé à bon port au terme de nombreuses correspondances. Je pense avoir réussi à semer mon ou mes poursuivants s'ils n'étaient pas le fruit de mon imagination.
Je me rendrais à l'hospice dès que le train aura stoppé.

Maudite nurse ! Malgré ma lettre de recommandation, elle a catégoriquement refusé de me laisser pénétrer dans l'établissement. Je vais devoir attendre l'arrivée du matin.

7 sept.

Première rencontre avec D. R. V. Quand il n'est pas mutique, il parle vite, sans discontinuer, dans un mélange de vieil allemand que j'ai parfois du mal à comprendre, de bribes d'anglais, de langues mortes, et d'autres langages qui me sont inconnus.

A noter que sa cellule et sa personne font l'objet d'une sécurité et d'une attention renforcées qui me semblent anormalement disproportionnées, même pour un meurtrier. Je retranscris ici les extraits les plus éloquents de ma conversation avec lui.

Présentations

L'individu est prostré entre son lit renversé et le mur. Il marmonne de manière inintelligible jusqu'à ce que je me présente.
Il semble alors me remarquer mais son regard fuit rapidement dans tous les sens à la recherche de quelque chose qu'il ne semble pas trouver.
« Pouvez-vous me dire qui vous êtes ? Votre nom peut-être ? »
« Ich bin der letzte ! Der letzte ! (incompréhensible) Ich werde es der lauschenden Leere verkünden...[note 1] (incompréhensible) Look out ! Do not see ! Do not see (?) ! (hurlements brefs) Wir sollten uns nicht zu viel umsehen.[note 2] (nouveaux hurlements) »
Un gardien intervient.

Première heure

« It is the seventh of september. Can you tell me what happened to you in the previous weeks?
L'individu me regarde avec intensité, les yeux exorbités. J'ai l'impression qu'il est à chaque instant sur le point de comprendre ma question mais que le sens des mots lui échappe sans cesse. »
« Können Sie mir sagen, was passiert ist? »
Aucune réaction.
« Pouvez vous me dire... »
Un flot de paroles m'interrompt alors subitement. Il parlera pendant près d'une heure dans un grec ancien très élaboré. Voici en substance les idées qui reviennent à de nombreuses reprises dans sa diatribe :
– Ils viennent des étoiles (ou par les étoiles ?).
– Le jour est venu de la conjonction où la réalité de la place (ou de l'endroit) que nous occupons (où nous vivons) va nous faire fuir la lumière.[citation 1]
– La paix (la sérénité) réside dans les ténèbres.
– Ils ne savent rien, ils ont besoin de moi.
– Ils accomplissent ma volonté. Je dois leur obéir.
Le reste traite confusément de savoirs cosmiques indéfinis interdits au commun des mortels, d'entités vivant (ou ne vivant pas (les contradictions sont nombreuses)) parmi nous, d'un culte très récent ou très ancien (il évoque l'un puis l'autre).

Une suite de sonorités reviennent trop souvent pour que je les assimile à des borborygmes quelconques. Ce mot ou cette imprécation m'évoque quelque langage interdit déjà rencontré au cours de mes recherches. Je les retranscris phonétiquement du mieux que je peux :

nnn'aah yia[secret 3]

L'homme effectue également des gestes étranges dans l'air à chaque fois qu'il prononce ces sons.

Deuxième heure

L'individu parle dans un langage inconnu, d’une langue agglutinante dont le système de racines est absolument différent de tout ce que l’on trouve dans les idiomes humains.[citation 2]

Illustration : Formules phonétiques raturées
  • f'tag'neunnh' phta gueu neuh
  • sh'lirrghh shli'r
  • n'yar'liah otep liyah totep
  • chog ? shogk ? schogh ?
  • stellll'bsnah chrriii ? hriii ?
  • h'asstürrr' hass-Türr'
  • 'haffh'dreun ? drnn ?

Je suis incapable de noter quoi que ce soit, même de manière phonétique. Il va et vient en tous sens dans sa cellule, ses mains effectuent des mouvements incessants, le ton de sa voix change constamment, frôlant le hurlement par moment pour devenir moins qu'un murmure l'instant suivant.
Il ne semble pas avoir conscience de ma présence ni de celles de ses geôliers, qui par ailleurs me donnent plus l'impression de surveiller ma personne que leur patient ; son regard virevolte comme s'il s'adressait à de nombreux interlocuteurs invisibles à mes yeux.

Troisième heure

Les gardiens m'ont incité à laisser leur patient se calmer. Lorsque je pénètre à nouveau dans sa cellule, l'individu semble calme, son lit a été remis en place, il est assis dessus. Il me salue dès mon entrée. Son regard est lucide bien que craintif et d'une lassitude extrême. Il parle l'allemand avec aisance mais hésite quelque peu dans son anglais que j'ai traduit directement dans la suite.
« Guten tag.
– ...Guten tag.
– Der Wind rauscht mit Ihren Stimmen.[secret 4]
– Ich bitte um Verzeihung ?[note 3] »
Il semble hésiter en me dévisageant.
« The wind is rustling with your voices and the earth is rumbling through your mind.
S'agit-il d'une phrase de reconnaissance ? La suite m'y fait penser. Sur l'instant je reste coi.
– Vous n'êtes pas l'un d'entre eux ?
– Qui ça « eux » ?
– D'où venez vous ?
– Je ne suis pas d'ici. Pouvez vous vous souvenir de ce qu'il vous est arrivé le mois dernier ? Comprenez vous pourquoi vous vous trouvez ici ? J'ai été envoyé par un confrère.
– Ils se sont trompés. Nous nous sommes tous trompés. Je suis plus à l'abri ici que dans ma propriété. Il ne faut pas y retourner ! Personne ne doit y retourner !
– Expliquez moi. Peut-être puis-je vous aider.
– Qui vous envoie ? »
J'hésite avant de lui donner le nom de C. H. Sa peur est immédiatement palpable.
« Ce n'était pas ma faute. Dites-lui ! C'était trop tôt, je leur ai dit ! Ce n'était pas le bon moment. Nous avons tous pensé que quelque chose s'était mal passé, mais c'était bien pire. La nuit où ils ont décidé de le faire, je... ich hörte Donnerschläge und andere Geräusche, welche die Natur nur im Zorne von sich gibt.[note 4] Si le ciel est miséricordieux, j’oublierai un jour ce que j’aperçus à ce moment, et pourrai connaître la paix pour les quelques années qui me resteront. Pour l’instant, je ne dors plus la nuit et, quand l’orage tonne... »[citation 3]
L'homme se jette sur moi comme un forcené mais c'est l'effroi et la folie qui l'animent. Les gardiens interviennent avec difficulté pour le maîtriser. Mon entretien est clos et je n'obtiens rien de plus du personnel soignant.

Note : J'ai laissé sciemment de quoi écrire dans la cellule, à l'insu du personnel, pour laisser D. R. V. s'exprimer plus librement.

8 sept.

Deuxième entrevue. L'homme était plus agité que jamais. Dès l'ouverture de sa cellule, nous avons pu constater l'ampleur de la frénésie qui l'habite : les murs, le sol et le plafond, les rares objets présents... tout était lacéré et griffé d'étranges cercles croisés de lignes, mêlés d'autres symboles hermétiques. Le patient s'était même écorché la peau pour marquer ces symboles à même son corps.
Je n'ai pas eu l'opportunité de m'entretenir avec D. R. V. aujourd'hui, mais j'ai pu reproduire un certain nombre de ces signes.
Je suis certain que le plus récurrent correspond aux signes que D. R. V. traçait dans l'air hier.

Notes et références

Notes

  1. « Ich bin der letzte ! [...] Ich werde es der lauschenden Leere verkünden... »
    Je suis le dernier ! [...] Je m'adresse au vide qui m'écoute...
  2. « Wir sollten uns nicht zu viel umsehen. »
    Nous ne devons pas regarder au-delà.
  3. « Ich bitte um Verzeihung ? »
    Je vous demande pardon ?
  4. « Ich hörte Donnerschläge und andere Geräusche, welche die Natur nur im Zorne von sich gibt. »
    I heard thunderclaps and other noises that nature only uttered in anger.

Citations

  1. « Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c'est l'incapacité de l'esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu'il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, cerné par de noirs océans d'infini, et nous ne sommes pas appelés à voguer bien loin. Les sciences, chacune creusant laborieusement son propre sillon, nous ont jusqu’à présent épargnés ; mais un jour viendra où la conjonction de tout ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et sur l’épouvantable place que nous y occupons que nous ne pourrons que sombrer dans la folie devant cette révélation, ou bien fuir la lumière pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres. » – H. P. Lovecraft, L'Appel de Cthulhu
  2. « Je constatai qu’il s’agissait d’une langue agglutinante dont le système de racines était absolument différent de tout ce que l’on trouvait dans les idiomes des humains. » – H. P. Lovecraft, L'Ombre immémoriale
  3. « Si le ciel est miséricordieux, j’oublierai un jour ce que j’aperçus à ce moment, et pourrai connaître la paix pour les quelques années qui me resteront. Pour l’instant, je ne dors plus la nuit et, quand l’orage tonne, je suis même obligé d’avoir recours aux narcotiques. » – H. P. Lovecraft, La Peur qui rôde

Références

Secrets

  1. Le Carlton Club à Londres.
  2. Voir les Données complémentaires sur les événements d'Augusta.
  3. Mot de protection en Cthuvien :
    • nnn-: (préfixe) surveiller / protéger
    • ah: (action générique) faire, manger, saluer, ...
    • ya: moi, je
  4. La phrase de reconnaissance secrète de la confrérie.
    « Der Wind rauscht mit Ihren Stimmen, und die Erde grollt durch Ihren Geist. »
    The wind is rustling with your voices and the earth is rumbling through your mind.

Annexes

Pièces jointes

Articles connexes

Liens externes